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es-tu entrée, silencieuse, dans ce beau sein, et par quel artifice l’as-tu changé ?

Tu en as arraché mon salut par la racine ; tu m’as représenté comme un amant trop heureux à celle qui accueillit un certain temps mes humbles et chastes prières, et qui maintenant semble les haïr et les repousser.

Cependant que, par son attitude dure et cruelle, elle se plaigne de ma joie et se rie de mes pleurs, elle ne pourrait changer une seule de mes pensées.

Non, bien qu’elle me tue mille fois par jours, elle ne fera pas que je ne l’aime plus et que je n’espère pas en elle ; car si elle me glace d’épouvante, Amour me rassure.


SONNET CXX.

Être toujours entre la douceur et l’amertume, c’est la vie misérable des amants.

En contemplant la lumière sereine des beaux yeux où se tient celui qui souvent colore et baigne les miens, mon âme fatiguée s’envole pour aller vers son paradis terrestre.

Puis, le trouvant plein de douceur et d’amertume, elle voit que c’est une œuvre d’araignée comme jamais n’en fut tissée au monde ; c’est pourquoi elle se plaint à elle-même et à l’Amour de ce qu’il a des éperons si poignants et un frein si dur.

Entre ces deux extrêmes, qui se contrarient et se mêlent, les désirs sont tour à tour de glace et de flamme, et l’on reste misérable et heureux tout à la fois.

Mais on a peu de pensées joyeuses et l’on en a beaucoup de tristes. Et la plupart du temps, on se repent