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sur elle ; pourvu qu’on ne la regarde pas dans les yeux, on peut regarder sans danger tout le reste de son corps. Mais moi, malheureux imprudent, je cours toujours à mon mal ; et je sais bien ce que j’en ai souffert et ce que j’en attends de souffrance ; mais mon avide désir, qui est aveugle et sourd, m’emporte tellement, que le saint et beau visage, et les yeux ardents de cette angélique et innocente bête, causeront ma perte.

Dans les pays du midi, jaillit une source qui tire son nom du soleil, et qui, de sa nature, est bouillante pendant la nuit et froide pendant le jour. Plus le soleil monte et plus il est voisin de nous, plus elle devient froide. Il m’en arrive à moi de même ; je suis une source et un séjour de larmes. Quand ma belle et brillante lumière, qui est mon soleil, s’éloigne de moi, mes yeux sont tristes et seuls, et pour eux il fait nuit obscure. Je brûle alors ; mais si je vois apparaître l’or et les rayons du soleil vif, je me sens changer entièrement au dedans et au dehors, et devenir de glace ; c’est ainsi que je redeviens froid.

Il y a, en Épire, une autre source, dont on dit que les eaux froides allument une torche éteinte, et éteignent une torche allumée. Mon âme, qui n’avait pas encore senti les atteintes de l’amoureuse flamme, pour s’être un peu approchée de cette froide dame pour laquelle je soupire sans cesse, s’est mise à brûler tout entière ; et jamais le soleil ni les étoiles ne virent semblable martyre, car il aurait ému de pitié un cœur de marbre. Quand elle eut bien embrasé mon âme, elle l’éteignit sous sa belle et glaciale vertu. C’est ainsi qu’elle m’a plusieurs fois allumé et éteint le cœur. Je le sais, moi qui le sens ; et souvent je m’en courrouce.