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CANZONE XIV.

Il essaye de démontrer que ses malheurs sont une chose extraordinaire et nouvelle.

Tout ce qu’il y eut jamais de plus étrange et de plus étonnant dans aucun climat du monde, c’est à cela que je ressemble le plus ; voilà où j’en suis venu, ô Amour. Aux pays d’où nous vient le soleil, est un oiseau qui seul, sans compagne, renaît après s’être volontairement donné la mort, et recommence une vie toute nouvelle. Ainsi mon désir est solitaire ; ainsi, sur la cime de ses pensées élevées, il s’ébat au soleil ; ainsi il se consume, et ainsi il revient à son premier état. Il brûle et meurt, et reprend de nouvelles forces, et vit ensuite aussi longtemps que le phénix.

Il y a dans la mer indienne un rocher si puissant de sa nature, qu’il attire à lui le fer, et qu’il l’enlève aux navires de façon à engloutir les navigateurs. C’est ce que j’éprouve moi-même au milieu de mes pleurs amers ; car ce bel écueil, avec son orgueil implacable, a conduit ma vie à un endroit où il faut qu’elle s’engloutisse. Ainsi un rocher, plus avide de chair humaine que de fer, a dépouillé mon âme, en me volant mon cœur qui jadis était chose invulnérable, et il me tient tout entier, alors que les parties de mon être sont divisées et éparses. Ô cruelle mésaventure ! car étant encore dans mon enveloppe de chair, je me vois entraîné à la rive par un vivant et doux aimant.

À l’extrémité de l’occident, se trouve une bête plus douce et plus paisible qu’aucune autre ; mais qui porte dans ses yeux le désespoir, le deuil et la mort. Il faut bien prendre garde quand on jette les regards