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MÉMOIRES

peuple insolent, qui l’appeloit sorcière et empoisonneuse[1]. M. de Louvois envoya jusqu’à Bruxelles un capitaine réformé qui, en donnant de l’argent à des gueux, lui faisoit chanter injures. Elle fut un jour obligée de coucher dans le béguinage où elle étoit allée acheter des dentelles, parce qu’il s’étoit assemblé devant la porte plus de trois mille personnes qui la vouloient déchirer. Il fallut que le comte de Monterey, gouverneur des Pays-Bas, la prît sous sa pretection, et désabusât le peuple. Elle avoit emporté six cent mille francs d’argent comptant, et commença à faire grande dépense. Tout fut apaisé.]

Notre voyage commença et finit fort heureusement ; mais il y avoit cinq mois que nous étions sur la mer, sans que le chevalier de Chaumont eût eu aucune ouverture pour moi. Cela commençoit à me fatiguer : je prévoyois que si cela duroit, je serois un zéro en chiffre à Siam, lorsqu’au travers de la cloison qui séparoit ma chambre de la sienne je l’entendis ruminer sa harangue. Je lui dis huit jours après (car il chantoit toujours la même note) que j’avois ouï les plus belles choses du monde. Là-dessus il me mena dans sa chambre, et me la répéta. Je la trouvai sans faute. Il commença à me parler de ce qu’il y avoit à faire en ce pays-la : je lui donnai mes petits avis. Il est bon homme, homme de bien, de qualité ; mais il ne sait pas la géométrie. Je n’eus pas beaucoup de peine à lui faire sentir que, par aventure, je pourrois lui être bon à quelque chose. Depuis ce jour-là il ne cracha plus sans m’en avertir. Mais il me vint à

  1. Voyez la lettre de madame de Sevigné à madame de Grignan, du 21 février 1680.