Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette présomption n’est jamais plus ridicule que dans ces grands génies qu’une étude continuelle, une profonde méditation et une longue expérience ont tellement élevés au dessus du commuu, et enivrés de la bonne opinion d’eux-mêmes, qu’ils se reposent sur la foi de leurs propres lumières dans les affaires les plus difficiles, et n’écoutent les conseils d’autrui que pour les mépriser. Il est vrai que la plupart de ces hommes extraordinaires que les autres vont consulteur comme des oracles, et qui pénètrent si vivement dans l’avenir sur les intérêts qui leur sont indifférens, deviennent presque toujours aveugles sur ceux qui leur importent davantage. Ils sont plus malheureux que les autres, en ce qu’ils ne sauroient se conduire ni par leur raison ni par celle de leurs amis.

L’action de libéralité qui donna le plus de partisans au comte Jean-Louis de Fiesque parmi le peuple fut celle qu’il fit aux fileurs de soie, qui forment un corps d’habitans considérable dans Gênes. Ils étoient alors extrêmement incommodés de la misère des guerres passées. Le comte ayant appris de leur consul l’état où ils se trouvoient, il témoigna beaucoup de compassion de leur pauvreté, et lui commanda en même temps d’envoyer en son palais ceux qui avoient le plus de besoin de son secours. Il.leur fournit abondamment de l’argent et des vivres, et les pria de ne point faire éclater ses présens, parce qu’il n’en prétendoit aucune récompense, que la satisfaction qu’il sentoit en lui-même de secourir les affligés ; et accompagnant ces choses d’une courtoisie et d’une douceur civile et caressante qui lui étoient naturelles, il gagna tellement les cœurs de ces pauvres gens, qu’ils furent depuis ce jour-la entièrement dévoués à son service.

Mais s’il s’attiroit par ces bienfaits l’amour et l’estime du menu peuple, il n’oublioit pas de se rendre agréable à ceux qui étoient les plus considérables dans cet ordre, par des paroles de liberté qu’il laissait couler adroitement dans ses discours, qui leur faisoient comprendre qu’encore qu’il fût du corps de la noblesse, il étoit trop raisonnable pour ne pas compatir avec beaucoup de douleur à l’oppression du peuple.

Quelques personnes accusent la république d’avoir manqué de conduite en cette occasion, et soutiennent que ce fut une imprudence extrême au sénat de souffrir que Jean-Louis obligeât ainsi