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mière quand on a de grands établissemens ; mais il est impossible d’éviter la seconde quand on a beaucoup de cœur et de considération dans le monde. La prudence et l’honnêteté peuvent bien diminuer la jalousie que l’intérêt fait naître entre les égaux ; mais elles ne peuvent jamais ôter tout l’ombrage que met dans l’esprit des supérieurs le soin de leur sûreté. Il y a des vertus si belles, qu’elles forcent l’envie même de leur rendre hommage. Mais en même temps qu’elles remportent une victoire sur celle-ci, elles augmentent les forces de l’autre. La haine s’accroît à mesure que le mérite s’élève ; et la vertu ressemble, dans ces rencontres, aux vaisseaux agités de la tempête, qui n’ont pas sitôt surmonté une vague, qu’ils sont incontinent attaqués par une autre plus violente que la première. Pouvez-vous ignorer que Jeannetin Doria n’ait une envie secrète contre votre naissance, beaucoup plus élevée que la sienne ; contre vos biens, plus légitimement acquis que ceux qu’il possède ; et contre votre réputation, qui passe de bien loin toute celle qu’il peut espérer en sa vie ? Quel sujet avez-vous de croire qu’une envie que ces considérations ont fait naître, et qui est animée par une ambition violente, ne produira dans l’esprit de cet insolent, que des pensées foibles et languissantes, et qu’elle n’ira pas directement à votre ruine ? Avez-vous raison d’espérer que quand, par votre prudence et par l’effort de votre vertu, vous auriez surmonté cette envie, vous pussiez éviter cette haine que la différence de vos humeurs lui donne pour vous ; et que cet esprit altier, que jusqu’ici la sagesse d’André a un peu retenu, souffrît plus long-temps celui qui est le seul obstacle de ses desseins ? Pour moi, je suis persuadé que les suites en sont inévitables, parce que vous ne sauriez vous défaire des qualités qui vous les attireront, ni vous dépouiller dé votre naturel et cesser d’être généreux. Mais quand il seroit en votre pouvoir de cacher, sous un extérieur modeste, cette hauteur d’ame qui vous élève si fort au dessus du commun, croyez-vous que Jeannetin Doria, soupçonneux comme il est, et comme le sont tous les tyrans, ne fût pas dans une défiance continuelle de votre conduite ? Toutes les marques de votre modération et de votre patience lui paroî-