Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins aussi malicieuse que celle des ministres de France, mais beaucoup plus adroite et plus judicieuse. On ne le peut excuser d’une ingratitude extraordinaire de s’être laissé emporter aux mouvemens d’une si dangereuse vengeance contre un prince à qui l’on peut dire qu’il avoit obligation de tout son honneur, puisqu’il en avoit acquis les plus belles marques en commandant ses armées ; et il est difficile de le justifier d’une trahison lâche et indigne de ses premières actions, d’avoir commandé à Philippin Doria, son lieutenant, de laisser entrer des vivres dans Naples alors extrêmement pressé par M. de Lautrec, au moment même qu’il protestoit encore de vouloir demeurer dans le service du Roi. Mais il faut avouer aussi que ce même procédé le doit faire passer pour un homme fort habile dans la politique intéressée, en ce qu’il mit avec tant d’adresse les apparences de son côté, que ses amis pouvoient dire que le manquement de parole dont il se plaignait pour sa patrie étoit la véritable cause de son changement ; et que ses ennemis ne pouvoient nier qu’il n’y eût été poussé par des traitemens trop rudes et trop difficiles à souffrir : outre qu’il n’ignorait pas que le moyen d’être en beaucoup de considération dans un parti étoit celui d’y apporter d’abord un grand avantage. En effet, il prit si bien son temps, et ménagea sa révolte avec tant de conduite, qu’elle sauva Naples à l’Empereur, que les Français lui alloient ravir en peu de jours, si Philippin Doria eût continué de les servir fidèlement. Ce changement fut cause de la perte d’un des plus grands capitaines qui fût jamais sorti de la France, et mit enfin la république de Gênes sous la protection de la couronne d’Espagne, à qui elle est si nécessaire à cause du voisinage de ses États d’Italie. Aussi fut-ce la première action d’André Doria pour le service de l’Empereur, après qu’il se fut ouvertement déclaré contre le Roi.

Cet homme habile et ambitieux, connoissant au point qu’il faisoit les intrigues de Gênes et les inclinations des Génois, ne manqua pas de ménager des esprits qu’on a de tout temps accusés d’aimer naturellement la nouveauté. Comme il avoit beaucoup d’amis et de partisans secrets dans la ville qui lui rendoient compte de ce qui s’y passoit, il avoit soin aussi d’y confirmer les uns dans le mécontentement qu’ils témoignoient du gouvernement présent et d’essayer d’en faire naître dans l’esprit des autres ;