Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 46.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lui qui jamais n’avoit tremblé,
Vieil soldat et vieil gentilhomme,
À monsieur d’Elbœuf qui le somme
De lui remettre ce château,
Répondit très-bien et très-beau
Qu’il ne lui plaisoit de le rendre,
Et qu’il prétendoit le défendre.
Mais il ne fut pas si méchant
Que six canons dessus le champ
Ne nous ouvrirent cette place
Sans avoir touché la surface.
Ce n’est pas qu’ils ne fissent pouf,
Que la garnison ne dit ouf,
Qu’elle ne parût sur la brèche,
Qu’elle n’employât poudre et mèche,
Que maint coup ne fût entendu ;
Mais c’est qu’il étoit défendu
Que dans ce beau siège de halle
Aucun côté chargeât à balle,
Qu’il n’eût crié : Retirez-vous !
Autant pour eux comme pour nous ;
Sur les mêmes peines qu’on donne
Au meurtrier d’une personne
Car quiconque eût fait autrement
Auroit péché mortellement,
Tout autant qu’en un homicide.
Un homme moins vaillant qu’Alcide,
Mais certes plus homme d’honneur,
Broussel, en fut fait gouverneur ;
Et son fils, en cette occurrence,
Fut pourvu de la lieutenance.
Le mercredi[1] mis sur pied fut
Le premier régiment qu’on eut.
Sur pied ? Non, j’aperçois que j’erre :
Les pieds n’en touchoient point à terre ;
Nos guerriers étoient sur chevaux
Prêts à fuir devant les royaux.
Ce fut cette même journée
Qu’une petite haquenée
Apporta de notre côté
Alexandre ressuscité,
Ce grand Beaufort, dont la présence
Nous rendit beaucoup d’assurance ;
Ce héros, ce fils de Henri,
Ce brave, ce prince aguerri,
Jusque chez Renard redoutable,
Ennemi juré de la table ;
Ce fameux fléau des Jarzais,
Quand ils causent comme des jais ;
Ce Mars qui bat, qui rompt, qui frappe,
Et perce tout, jusqu’à la nappe ;
Ce prince plus blond qu’un bassin,
Et plus dévot qu’un capucin ;
Qui mit en rut toutes nos femmes
Les honnêtes et les infâmes ;
Baisa toujours et rebaisa :
Car jamais il ne refusa
Ni harengère, ni marchande,
Jeune, vieille, laide, galande,
Qui lui crioient à qui plus fort :
Baisez mi, monsieur de Biaufort !
L’une tendoit un vilain moufle,
L’autre rendoit un vilain souffle :
L’une étaloit ses cheveux blancs,
L’autre ne montroit que trois dents,
Dont l’ébène étoit suffisante
Pour en faire plus de cinquante.
Il en baisa près de trois cent,
Toutes d’un baiser innocent,
Fors une jeune femme grosse
Qui descendit de son carrosse,
Disant : Mon fruit serait marqué.
Car dans le baiser appliqué
Au milieu de sa belle bouche,
Il eut un désir de sa couche,
Et lui demanda rendez-vous,
En la baisant deux autres coups ;
Mais il fut depuis à confesse.
Enfin ayant baisé sans cesse,
Aux lieux publics dans les marchés,

  1. 13 janvier.