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port : le gouverneur espagnol m’y fit toutes les honnêtetés imaginables ; et comme il vit que le mauvais temps continuoit, il me conseilla d’aller voir Porto-Ferrajo. Il n’y a que cinq milles de l’un à l’autre par terre, et j’y allai à cheval. Je vous ai tantôt dit qu’il n’y a rien de si agréable, dans le théâtre rustique de l’Opéra, que la scène du Port-Mahon ; et je vous puis dire présentement, avec autant de vérité qu’il n’y a rien de si pompeux, dans les représentations les plus magnifiques que vous en avez vues, que tout ce qui paroît de cette place. Il faudroit être homme de guerre pour vous la décrire, et je me contenterai de vous dire que sa force passe sa magnificence : elle est l’unique imprenable qui soit au monde, et le maréchal de La Meilleraye en convenoit. Il l’alla visiter après qu’il eut pris Porto-Longone dans le temps de la régence ; et comme il étoit impétueux, il dit au commandeur Grifoni, qui y commandoit pour le grand duc, que la fortification étoit bonne ; mais que si le Roi son maître lui commandoit de l’attaquer, il lui en rendroit bon compte en six semaines. Le commandeur Grifoni lui répondit qu’il prenoit un trop long terme, et que le grand duc étoit si fort serviteur du Roi qu’il ne faudroit qu’un moment. Le maréchal eut honte de son emportement ou plutôt de sa brutalité, et il la répara en disant : « Vous êtes un galant homme, monsieur le commandeur, et je suis un sot. Je confesse que votre place est imprenable. » Le maréchal me fit ce conte à Nantes, et le commandeur me le confirma à Porto-Ferrajo, où il commandoit encore quand j’y passai.