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taucorps ; mais il déclara qu’il ne pouvoit me laisser sortir qu’il n’eût ordre du comte de San-Estevan, vice-roi de Navarre, qui étoit à Pampelune. Don Pedro y alla avec un officier de la ville, et il en revint avec beaucoup d’excuses. On me donna cinquante mousquetaires d’escorte montés sur des ânes, qui m’accompagnèrent jusqu’à Cortez.

Je continuai mon chemin par Saragosse, capitale de l’Arragon, grande et belle ville. Je fus surpris au dernier point d’y voir que tout le monde parloit français dans les rues. Il y en a en effet une infinité, et particulièrement d’artisans, qui sont plus affectionnés à l’Espagne que les naturels du pays. Le duc de Monteleone, napolitain, de la maison de Pignatelli, vice-roi d’Arragon, m’envoya, à trois ou quatre lieues au devant de moi, un gentilhomme, pour me dire qu’il y fût venu lui-même avec toute la noblesse, si le Roi son maître ne lui eût mandé d’obéir à l’ordre contraire qu’il savoit que je lui en donnerois. Ce compliment, fort honnête, comme vous voyez, fut accompagné de mille et mille galanteries, et de tous les rafraîchissemens imaginables que je trouvai à Saragosse. On y voit, avant que d’entrer dans la ville, de ce côté-là, l’Alcaçar des anciens rois maures, qui est présentement à l’Inquisition. Il y a auprès une allée d’arbres, dans laquelle je vis un prêtre qui se promenoit. Le gentilhomme du vice-roi me dit que ce prêtre étoit le curé d’Occa, ville très-ancienne en Arragon ; et que ce curé faisoit la quarantaine pour avoir enterré, depuis trois semaines, son dernier paroissien, qui étoit effectivement le dernier de douze mille personnes mortes de la peste dans sa paroisse.