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passer l’eau. Il se sauva ainsi, et il faut avouer que cette présence d’esprit n’est pas commune. En voici une de cœur qui n’est pas moindre. Celui pour qui le docteur me vouloit faire passer, quand il dit à Coulon que j’entrois dans un village qu’il lui montroit, étoit ce Beauchêne dont je vous ai parlé. Son cheval étoit outré, et il n’avoit pu me suivre. Coulon le prenant pour moi courut à lui ; et comme il se voyoit soutenu par beaucoup de cavaliers qui étoient près de le joindre, il l’aborda le pistolet à la main. Beauchêne s’arrêta sur eux en la même posture, et il eut la fermeté de s’apercevoir dans cet instant qu’il y avoit un bateau à dix ou douze pas de lui. Il se jeta dedans ; et pendant qu’il arrêtoit Coulon en lui montrant un de ses pistolets, il mit l’autre à la tête du batelier, et le força de passer la rivière. Sa résolution ne le sauva pas seulement, mais elle contribua à me faire sauver moi-même, parce que le grand-maître ne trouvant plus ce bateau fut obligé d’aller passer l’eau beaucoup plus bas.

Voici une autre action qui n’est pas de même espèce, mais qui servit encore davantage à ma liberté. Je vous ai déjà dit qu’aussitôt que l’abbé Charier m’eut mandé que le Pape refusoit d’admettre ma démission, je dépêchai Malclerc pour en solliciter l’agrément. La cour lui joignit Gaumont, qui portoit l’original de cette démission à M. le cardinal d’Est, avec ordre de la solliciter, parce qu’il n’y avoit plus d’ambassadeur de France à Rome. Gaumont s’étant trouvé fatigué à Lyon, et ayant pris la résolution de s’aller embarquer à Marseille, Malclerc continua dans celle de prendre la route des montagnes ; et comme elle