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terai de vous dire qu’après le combat du monde le plus sanglant et le plus opiniâtre, il sauva ses troupes, qui n’étoient qu’une poignée de monde, et attaquées par M. de Turenne, renforcé de l’armée de M. le maréchal de La Ferté. Il y perdit le comte de Bossu, flamand ; La Roche-Giffart, Flamarin, et d’Hacquest, du nom de Montmorency. Messieurs de La Rochefoucauld[1], de Tavannes, de Coigny, le vicomte de Melun et le chevalier de Fort y furent blessés. Esclainvilier le fut du côté du Roi, et messieurs de Saint-Mesgrin et Mancini tués. Je ne puis vous exprimer l’agitation de Monsieur dans le cours de ce combat. Tout le possible lui vint dans l’esprit ; et (ce qui arrive toujours en cette rencontre) tout l’impossible succéda dans son imagination à tout le possible. Jouy, qu’il m’envoya sept fois en moins de trois heures, me dit qu’il avoit peur un moment que la ville ne se révoltât contre lui ; qu’il craignoit un instant après qu’elle ne se déclarât trop pour M. le prince. Il envoya des gens inconnus pour voir ce qui se faisoit chez moi ; et rien ne le rassura véritablement, que le rapport qu’on lui fit que je n’avois que mon Suisse à la porte. Bruneau, de qui je le sus le lendemain, dit que le mal n’étoit pas grand dans la ville, puisque je ne me précautionnois

  1. La Rochefoucauld : Il fut blessé au visage au dessus des yeux, et pendant quelque temps privé de la vue. Épris de madame de Longueville, il s’étoit applique les vers suivans de la tragédie d’Alcyonée :
    Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
    J’ai fait la guerre aux rois : je l’aurois faite aux dieux.
    Instruit bientôt qu’elle le trompoit, il parodia ainsi ces vers :
    Pour mériter son cœur, qu’enfin je connois mieux,
    J’ai fait la guerre aux rois : j’en ai perdu les yeux.