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DU CARDINAL DE RETZ. [1649]

Doujat, qui étoit un des rapporteurs, et qui m’en avoit fait avertir par l’avocat général Talon son parent, l’avoua, en faisant semblant de l’adoucir. Il se leva comme en colère, et dit très-finement : « Ces brevets, monsieur, ne sont pas pour vous accuser comme vous dites. Il est vrai qu’il y en a, mais ils ne sont que pour découvrir ce qui se passe dans les assemblées des rentiers. Comment le Roi seroit-il informé, s’il ne promettoit l’impunité ceux qui lui donnent des avis pour son service, et qui sont quelquefois obligés, pour les avoir, de dire des paroles qu’on leur pourroit tourner à crime ? Il y a bien de la différence entre des brevets de cette façon, et des brevets qu’on auroit donnés pour vous accuser. »

La compagnie fut radoucie par ce discours ; le feu monta au visage de tout le monde. Le premier président, qui ne s’étonnoit pas du bruit, prit de la main sa longue barbe (c’étoit son geste ordinaire quand il se mettoit en colère). « Patience, messieurs, dit-il ; allons avec ordre. Messieurs de Beaufort, le coadjuteur et Broussel, vous êtes accusés : il y a des conclusions contre vous ; sortez de vos places. » Comme M. de Beaufort et moi voulûmes en sortir M. de Broussel nous retint en disant « Nous ne devons sortir messieurs, ni vous ni moi, jusqu’à ce que la compagnie l’ordonne. M. le premier président, que tout le monde sait être notre partie, doit sortir si nous sortons. » J’ajoutai « Et M. le prince. » M. le prince s’entendant nommer, dit avec fierté et d’un ton moqueur « Moi ! moi ! » À quoi je répondis « Oui, oui, monsieur la justice égale tout le monde. »