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[1649] MÉMOIRES

Guémené, je lui dis tout ce que celle que j’avois avec M. de Beaufort pouvoit demander de moi dans cette conjoncture. À cela, elle me répondit brusquement : « Je veux que l’on soit de mes amis pour l’amour de moi-même ne le mérité-je pas bien ? » Je lui fis là-dessus son panégyrique ; et de propos en propos, qui continuèrent assez long-temps, elle tomba sur les beaux exploits que nous aurions faits, si nous nous étions trouvés unis ensemble à quoi elle ajouta qu’elle ne concevoit pas comment je m’amusois à une vieille plus méchante qu’un diable, et une jeune encore plus sotte à proportion. « Nous nous disputons tout le jour cet innocent, reprit-elle en me montrant M. de Beaufort qui jouoit aux échecs ; nous nous donnons bien de la peine, et nous gâtons toutes nos affaires accordons-nous ensemble, allons-nous-en à Peronne. Vous êtes maîtres de Mézières ; le cardinal nous enverra demain des négociateurs. »

Ne soyez pas surprise de ce qu’elle parloit ainsi de M. de Beaufort, c’étoient ses termes ordinaires ; et elle disoit à qui la vouloit entendre que le pauvre sire étoit impuissant. Ce qu’il y a de vrai ou presque vrai, est qu’il ne lui avoit jamais demandé le bout dû doigt, et qu’il n’étoit amoureux que de son ame. En effet, il me paroissoit au désespoir quand elle mangeoit le vendredi de la viande ce qui lui arrivoit souvent. J’étois accoutumé à ses dits, mais je ne l’étois pas à ses douceurs. J’en fus touché, quoiqu’elles me fussent suspectes, vu la conjoncture. Elle étoü fort belle, je n’avois pas des dispositions naturelles à perdre de telles occasions ainsi je me radoucis beaucoup, et l’on ne m’arracha pas les yeux. Je proposai donc