Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 45.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
DU CARDINAL DE RETZ. [1649]

même manière de mon côté ; que nous allassions séparément chez M. le prince lui dire que nous étions très-persuadés qu’il ne nous faisoit point l’injustice de nous confondre dans les bruits qui couroient. Je ne pus trouver après dîner M. le prince chez lui ; et M. de Beaufort ne l’y ayant pas rencontré non plus, nous nous trouvâmes sur les six heures chez madame de Montbazon, qui vouloit à toute force que nous prissions des chevaux de poste pour nous enfuir. Nous eûmes sur cela une contestation qui ouvrit une scène où il y eut bien du ridicule, quoiqu’il ne s’y agît que du tragique. Madame de Montbazon soutenant qu’au personnage que nous jouions, M. de Beaufort et moi, il n’y avoit rien de si aisé que de se défaire de nous, puisque nous nous mettions entre les mains de nos ennemis : je lui répondis qu’il étoit vrai que nous hasardions notre vie ; mais que si nous agissions autrement, nous perdrions notre honneur. À ce mot elle se leva de dessus son lit où elle étoit, et me dit, après m’avoir mené vers la cheminée : « Avouez le vrai, ce n’est pas ce qui vous tient ; vous ne sauriez quitter vos nymphes. Amenons l’innocente avec nous : je crois que vous ne vous souciez plus guère de l’autre. » Comme j’étois accoutumé à ses manières, je ne fus pas surpris de ce discours ; mais je le fus davantage quand je la vis dans la pensée de s’en aller à Peronne, et si effrayée qu’elle ne savoit ce qu’elle disoit. Je trouvai que ses deux amans lui avoient donné plus de frayeur qu’ils n’eussent voulu. J’essayai de la rassurer ; et sur ce qu’elle me témoignoit quelque défiance que je ne fusse pas de ses amis, à cause de la liaison que j’avois avec mesdames de Chevreuse et de