Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 45.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une conduite par laquelle il me sembloit que nous allions tous combattre à la façon des anciens andabates[1].

La seconde conversation que j’eus sur ce détail avec Monsieur dans la grande allée des Tuileries fut assez curieuse, et, par l’événement, presque prophétique. Je lui dis : « Que deviendrez-vous, monsieur, quand M. le prince sera raccommodé à la cour ou passé en Espagne ? quand le parlement donnera des arrêts contre le cardinal, et déclarera criminels ceux qui s’opposeront à son retour ? quand vous ne pourrez plus, avec honneur et sûreté, être ni mazarin ni frondeur ? à Monsieur me répondit : « Je serai fils de France ; vous deviendrez cardinal, et vous demeurerez coadjuteur. Je lui repartis sans balancer, comme par enthousiasme : « Vous serez fils de France à Blois, et moi cardinal au bois de Vincennes. » Monsieur ne s’ébranla point, quoi que je lui pusse dire ; et il fallut se réduire au parti de brousser à l’aveugle de jour en jour. C’est le nom que Patru donnoit à notre manière d’agir ; je vous en expliquerai le détail après que je vous aurai rendu compte d’un embarras très-fâcheux que j’eus en ce temps-là.

Bertet, qui, comme vous avez déjà vu, étoit venu à Paris pour négocier avec M. de Bouillon et moi, avoit aussi ordre de la Reine de voir madame de Chevreuse, et d’essayer de lui persuader de s’attacher encore plus intimement à elle qu’elle n’avoit fait jusque la. Il la trouva dans une disposition très-favorable pour sa négociation. Laigues étoit rempli de lui-

  1. C’est-à-dire à tâtons. Les andabates étoient des gladiateurs qui combattoient les yeux fermés. (A. E.)