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MÉMOIRES

dessein. Nous demeurions ainsi sans nous pouvoir faire de mal, quand il me dit : « Levons-nous, il n’est pas honnête de se gourmer. Vous êtes un joli garçon, je vous estime, et je ne fais aucune difficulté, dans l’état où nous sommes, de dire que je ne vous ai donné aucun sujet de me quereller. » Nous convînmes de dire au marquis de Poissy, qui étoit son neveu et mon ami, comment le combat s’étoit passé ; mais de le tenir secret à l’égard du monde, à la considération de madame Du Châtelet. Ce n’étoit pas mon compte : mais quel moyen honnête de le refuser ? On ne parla que peu de cette affaire, et encore fut-ce par l’indiscrétion de Noirmoutier, qui, l’ayant apprise du marquis de Poissy, la mit un peu dans le monde : mais enfin il n’y eut point de procédures, et je demeurai encore là, avec ma soutane et deux duels.

Permettez-moi, je vous supplie, de faire un peu de réflexion sur la nature de l’esprit de l’homme. Je ne crois pas qu’il y eût au monde un meilleur cœur que celui de mon père[1], et je puis dire que sa trempe étoit celle de la vertu. Cependant et ces duels et ces galanteries ne l’empêchèrent pas de faire tous ses efforts pour attacher à l’Église l’ame peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l’univers. La prédilection pour son aîné, et la vue de l’archevêché de Paris, qui étoit dans sa maison, produisirent cet effet. Il ne le crut pas, et ne le sentit pas lui-même. Je jurerois

  1. De mon père : Philippe-Emmanuel de Gondy. Il fut général des galères, et acquit quelque gloire, soit en combattant les Barbaresques, soit dans une expédition contre les Rochellois. Ayant perdu son épouse en 1625, il se retira dans la maison de Saint-Magloire, et se fit oratorien. Il embrassa depuis assez vivement la cause des jansénistes.