Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 44.djvu/441

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
439
DU CARDINAL DE RETZ. [1649]

de plus grand que soi. Comme nous étions en conversation après souper dans le cabinet de madame de Bouillon, Briquemaut y entra avec un visage consterné. Il la tira à part, et ne lui dit qu’un mot à l’oreille. Elle fondit d’abord en pleurs ; et en se tournant vers don Gabriel de Tolède et vers moi : « Hélas ! s’écria-t-elle, nous sommes perdus : M. de Turenne est i(abandonné. » Le courrier entra au même instant, qui nous conta succinctement la chose. Tous les corps avoient été gagnés par l’argent de la cour, et toutes les troupes lui avoient manqué, à la réserve de deux ou trois régimens. M. de Turenne avoit fait beaucoup que de n’être point arrêté ; et il s’étoit retiré, lui cinq ou sixième, chez madame la landgrave de Hesse[1], sa parente et son amie.

M. de Bouillon fut atterré de cette nouvelle, et j’en fus presque aussi touché que lui. Je ne sais si je me trompai : mais il me parut que don Gabriel de Tolède n’en fut pas trop affligé, soit qu’il crût que nous n’en serions que plus dépendans de l’Espagne, soit que son humeur gaie et enjouée l’emportât sur l’intérêt du parti. M. de Bouillon pensa un demi quart-dheure après aux expédiens de réparer cela et nous envoyâmes chercher le président de Bellièvre, qui venoit de recevoir un billet de M. le maréchal de Villeroy, qui lui mandoit cette nouvelle. Ce billet portoit que le premier président et le président de Mesmes

  1. Amélie-Elisabeth, femme de Guillaume, landgrave de Hesse. Elle étoit cousine germaine de M. de Turenne, étant petite-fille de Charlotte de Bourbon, femme de Guillaume premier, prince d’Orange, grand’mére de M. de Turenne. (A. E.)