Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 44.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
[1649] MÉMOIRES

Nous disputâmes sur ce ton trois ou quatre heures pour le moins ; mais nous ne nous persuadâmes point, et nous convînmes d’agiter le lendemain la question chez M. le prince de Conti, en présence de messieurs de Beaufort, d’Elbœuf, de La Mothe, de Brissac, de Noirmoutier et de Bellièvre.

Je sortis de chez lui fort embarrassé. J’étois persuadé que son raisonnement dans le fond n’étoit pas solide, et je le suis encore. Je croyois que la conduite que ce raisonnement inspiroit donnoit ouverture à toutes sortes de traités particuliers ; etsachant que les Espagnols avoient confiance en lui, je ne doutois point qu’il ne donnât à leurs envoyés tous les jours qu’il lui plairoit. J’eus encore bien plus d’appréhension en revenant chez moi, où je trouvai une lettre en chiffres de madame de Lesdiguières, qui me faisoit des offres immenses de la part de la Reine, le paiement de mes dettes, des abbayes, la nomination au cardinalat. Un petit billet à part portoit ces paroles : « La déclaration de l’armée d’Allemagne met tout le monde ici dans la consternation. » Je jugeai que l’on ne manqueroit pas de faire des tentatives auprès des autres comme on en faisoit auprès de moi ; et je crus que puisque M. de Bouillon commençoit à songer aux petites portes dans un temps où tout nous rioit, les autres auroient peine à ne pas prendre les grandes, que je ne doutois plus, depuis la déclaration de M. de Turenne, qu’on ne leur ouvrît avec soin. Ce qui m’affligeoit plus que tout le reste étoit que je ne voyois pas le fond de l’esprit et du dessein de M. de Bouillon. J’avois cru jusque là l’un plus vaste et l’autre plus éclairé qu’ils ne me paroissoient en cette occasion, qui étoit pourtant la déci-