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[1649] MÉMOIRES

partit à minuit. Nous nous mîmes à table pour souper chez M. de Bouillon un moment après, lui, madame sa femme et moi. Comme elle étoit fort gaie dans le particulier, et que de plus le succès de cette journée lui avoit encore donné de la joie, elle nous dit qu’elle vouloit faire débauche. Elle fit retirer tous ceux qui servoient, et elle ne retint que Briquemaut, capitaine des gardes de monsieur son mari, en qui l’un et l’autre avoient confiance. La vérité est qu’elle vouloit parler en liberté de l’état des choses, qu’elle croyoit bon. Je ne la détrompai pas tant que l’on fut à table, pour ne point interrompre son souper, ni celui de M. de Bouillon, qui étoit assez mal de la goutte. Comme on fut sorti de table, je leur représentai qu’il n’y avait rien de plus délicat que le poste où nous nous trouvions ; que si nous étions dans un parti ordinaire, qui eût la disposition de tous les peuples du royaume aussi favorable que nous l’avions, nous serions incontestablement maîtres des affaires. Mais que le parlement, qui faisoit en un sens notre principale force, faisoit en deux ou trois manières notre principale foiblesse : que bien qu’il parût de la chaleur dans cette compagnie, il y avoit toujours un fond d’esprit de retour, qui paroissoit à toute occasion ; que dans la délibération même du jour où nous parlions, nous avions eu besoin de tout notre savoir faire, pour faire que le parlement ne se mît pas à lui-même la corde au cou ; que je convenois que ce que nous en avions tiré étoit utile pour faire croire aux Espagnols qu’il n’étoit pas si inabordable pour eux qu’ils se l’étoient figuré ; mais qu’il falloit aussi convenir que si la cour se conduisoit bien, elle en tireroit un fort grand avantage,