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DU CARDINAL DE RETZ. [1649]

de la ville ; que le prévôt des marchands et le lieutenant civil pourvoiroient au passage des vivres, et que l’on délibéreroit le lendemain au matin sur la lettre du Roi. Vous jugez, par la teneur de cet arrêt interlocutoire[1], que la terreur du parlement n’étoit pas encore bien dissipée. Je ne fus pas touché de son irrésolution, parce que j’étois bien persuadé que j’aurois dans peu de quoi le fortifier.

Comme je croyois que la bonne conduite vouloit que le premier pas, au moins public, de désobéissance vînt de ce corps, pour justifier celle des particuliers, je jugeai à propos de chercher une couleur au peu de soumission que je témoignois à la Reine en n’allant pas à Saint-Germain. Je fis mettre mes chevaux au carrosse, je reçus les adieux de tout le monde, je rejetai avec une fermeté admirable toutes les instances que l’on me fit pour m’obliger à demeurer : et, par un bonheur signalé, je trouvai au bout de la rue Notre-Dame Du Buisson, marchand de bois, et qui avoit beaucoup de crédit sur les ponts. Il étoit absolument à moi ; mais il se mit ce jour-là de fort mauvaise humeur : il battit mon postillon, il menaça mon cocher. Le peuple accourut en foule, renversa mon carrosse ; et les femmes du Marché-Neuf firent d’un étau une machine sur laquelle elles me rapportèrent, pleurant et hurlant, à mon logis. Vous ne doutez pas de la manière dont cet effet de mon obéissance fut reçu à Saint-Germain, j’écrivis à la Reine et à M. le prince, en leur témoignant la douleur que j’avois d’avoir si mal réussi dans ma tentative. La Reine répondit au chevalier de Sévigné, qui

  1. Arrêt interlocutoire : C’est-à-dîre qui ne décidoit rien.