Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 44.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
[1648] MÉMOIRES

autre rencontre qui m’arriva. Le cardinal, qui eût souhaité avec passion de me perdre dans le public, avoit engagé le maréchal de La Meilleraye, surintendant des finances et mon ami, à m’apporter chez moi quarante mille écus que la Reine m’envoyoit pour le paiement de mes dettes, en reconnoissance, disoit-elle, des services que j’avois essayé de lui rendre le jour des barricades. Observez, je vous prie, que lui, qui m’avoit donné les avis les plus particuliers des sentimens de la cour sur ce sujet, les croyoit de la meilleure foi du monde changés pour moi, parce que le cardinal lui avoit témoigné une douleur sensible de l’injustice qu’il m’avoit faite, et qu’il avoit reconnue clairement depuis. Je ne vous marque cette circonstance que parce qu’elle sert à faire connoître que les gens qui sont naturellement foibles à la cour ne peuvent jamais s’empêcher de croire tout ce qu’elle prend la peine de leur vouloir faire croire. Je l’ai observé mille et mille fois ; et que quand ils ne sont pas dupes, c’est la faute des ministres. Comme la foiblesse à la cour n’étoit pas mon défaut, je ne me laissai pas persuader par le maréchal de La Meilleraye, comme lui-même s’étoit laissé persuader par le Mazarin ; et je refusai les offres de la Reine, avec toutes les paroles requises en cette occasion, mais sincères à proportion de la sincérité avec laquelle elles m’étoient faites.

Voici le point où je donnai dans le panneau. Le maréchal d’Estrées traitoit du gouvernement de Paris avec M. de Montbazon[1] : le cardinal l’obligea de faire semblant d’en avoir perdu la pensée, et d’essayer de me l’inspirer comme une chose qui me concernoit

  1. Hercule de Rohan, mort en 1664. (A. E.)