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[1648] MÉMOIRES

gens qui veulent toujours avoir tout deviné, s’écria qu’il n’en doutoit point, et qu’il l’avoit bien prédit. Laigues se mit sur les lamentations de ma conduite, qui faisoit pitié à mes amis, quoiqu’elle les perdît. Je leur répondis que s’il leur plaisoit de me laisser un petit quart-d’heure[1] en repos, je leur ferois voir que nous n’étions pas réduits à la pitié ; et il étoit vrai.

Comme ils m’eurent laissé tout seul le quart-d’heure que je leur avois demandé, je ne fis pas seulement réflexion sur ce que je pouvois : car j’en étois très-assuré ; je pensai seulement à ce que je devois, et je fus embarrassé. Comme la manière dont j’étois poussé, et celle dont le public étoit menacé, eurent dissipé mon scrupule, et que je crus pouvoir entreprendre avec honneur et sans être blâmé, je m’abandonnai à toutes mes pensées ; je rappelai tout ce que mon imagination m’avoit jamais fourni de plus éclatant et de plus proportionné aux vastes desseins ; je permis à mes sens de se laisser chatouiller par le titre de chef de parti, que j’avois toujours honoré dans les Vies de Plutarque. Mais ce qui acheva d’étouffer tous mes scrupules, fut l’avantage que je m’imaginai à me distinguer de ceux de ma profession par un état de vie qui les confond toutes. Le déréglement des mœurs, très-peu convenable à la mienne, me faisoit peur. J’appréhendois le ridicule de M. de Sens. Je me soutenois par la Sorbonne, par des sermons, par la faveur des peuples ; mais enfin cet appui n’a qu’un temps, et ce temps même n’est pas fort long, par mille accidens

  1. De me laisser un petit quart-d’heure : Peut-on présumer, en refléchissant à toutes ces ressources ménagées depuis long-temps par le coadjuteur, que son intention avoit été de rester fidèle à ses devoirs ?