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[1648] MÉMOIRES

sel mort ou vif. » Je pris la parole, et je lui dis : « Le premier ne seroit ni de la piété ni de la prudence de la Reine : le second pourroit faire cesser le tumulte. » La Reine rougit à ce mot, et s’écria : « Je vous entends, M. le coadjuteur ! vous voudriez que je donnasse la liberté à Broussel. Je l’étranglerois plutôt avec les deux mains. » Et achevant cette dernière syllabe, elle me les porta presque au visage, en ajoutant : « Et ceux qui… » Le cardinal, qui ne douta point qu’elle ne m’allât dire tout ce que la rage peut inspirer, s’avança, et lui parla à l’oreille. Elle se composa à un point que, si je ne l’eusse connue, elle m’eût paru bien radoucie.

Le lieutenant civil entra en ce moment dans le cabinet, avec une pâleur mortelle sur le visage. Je n’ai jamais vu à la Comédie italienne de peur si naïvement et si ridiculement représentée que celle qu’il fit voir à la Reine, en lui racontant des aventures de rien qui lui étoient arrivées depuis son logis jusqu’au Palais-Royal. Admirez, je vous prie, la sympathie des âmes timides ! Le cardinal Mazarin n’avoit été jusque là que médiocrement touché de ce que M. de La Meilleraye et moi lui avions dit avec assez de vigueur, et la Reine n’en avoit pas seulement été émue. La frayeur du lieutenant se glissa, je crois, par contagion dans leur imagination, dans leur esprit et dans leur cœur. Ils me parurent tout à coup métamorphosés : ils ne me traitèrent plus de ridicule ; ils avouèrent que l’affaire méritoit de la réflexion. Ils consultèrent, et souffrirent que Monsieur, M. de Longueville, le chancelier, le maréchal de Villeroy, celui de La Meilleraye et le coadjuteur prouvassent par bonnes raisons