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DU CARDINAL DE RETZ. [1648]

réprouvé. Le chancelier entra dans le cabinet en ce moment. Il étoit si foible de son naturel, qu’il n’y avoit jamais dit, jusqu’à cette occasion, aucune parole de vérité ; mais, en celle-là, la complaisance céda à la peur : il parla, et il parla selon ce que lui dictoit ce qu’il avoit vu dans les rues. J’observai que le cardinal parut fort touché de la liberté d’un homme en qui il n’en avoit jamais vu. Mais Senneterre, qui entra presque en même temps, effaça en moins de rien les premières idées, en assurant que la chaleur du peuple commençoit à se ralentir : qu’on ne prenoit point les armes, et qu’avec un peu de patience tout iroit bien.

Il n’y a rien de si dangereux que la flatterie, dans les conjonctures où celui que l’on flatte peut avoir peur. L’envie qu’il a de ne la pas prendre fait qu’il croit tout ce qui l’empêche d’y remédier. Les avis qui arrivoient de moment à autre faisoient perdre inutilement ceux dans lesquels on peut dire que le salut de l’État étoit renfermé. Le vieux Guitaut[1], homme de peu de sens, mais très-affectionné, s’en impatienta plus que les autres ; et il dit, d’un ton de voix encore plus rauque qu’à son ordinaire, qu’il ne comprenoit pas comment il étoit possible de s’endormir en l’état où étoient les choses. Il ajouta je ne sais quoi entre les dents que je n’entendis pas, mais qui apparemment piqua le cardinal, qui d’ailleurs ne l’aimoit pas. Le cardinal lui répondit : « Eh bien ! M. de Guitaut, quel est votre avis ? — Mon avis est, lui répondit brusquement Guitaut, de rendre ce vieux coquin de Brous-

  1. Le vieux Guitaut : François de Comminges, mort en 1663, à l’âge de quatre-vingt-deux ans.