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[1648] MÉMOIRES

Broussel (remarquez, je vous prie, qu’il avoit quatre-vingts ans), qui animoit le peuple à la sédition : quoiqu’ils connussent très-bien l’un et l’autre que la tragédie ne seroit peut-être pas fort éloignée de la farce. Le seul et unique abbé de La Rivière étoit convaincu que l’émotion du peuple n’étoit qu’une fumée : il le soutenoit à la Reine, qui l’eût voulu croire, quand même elle auroit été persuadée du contraire : et je remarquai dans un même instant, et par la disposition de la Reine qui étoit la personne du monde la plus hardie, et par celle de La Rivière qui étoit le poltron le plus signalé de son siècle, que l’aveugle témérité et la peur outrée produisent les mêmes effets lorsque le péril n’est pas connu. Afin qu’il ne manquât aucun personnage au théâtre, le maréchal de La Meilleraye, qui jusque-là étoit demeuré très-ferme avec moi à représenter la conséquence du tumulte, prit celui de capitan. Il changea tout d’un coup et de ton et de sentiment, sur ce que le bonhomme Vannes, lieutenant colonel aux gardes, vint dire à la Reine que les bourgeois menaçoient de forcer les gardes. Comme il étoit tout pétri de bile et de contre-temps, il se mit en colère jusqu’à l’emportement, et même jusqu’à la fureur. Il s’écria qu’il falloit plutôt périr que de souffrir cette insolence ; et il pressa qu’on lui permît de prendre les gardes, les officiers de la maison, et tous les courtisans qui étoient dans les antichambres, en assurant qu’il terrasseroit toute cette canaille.

La Reine même donna avec ardeur dans son sens, mais ce sens ne fut appuyé de personne ; et vous verrez par l’événement qu’il n’y en a jamais eu de plus