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MÉMOIRES

Ces deux raisons sont deux aventures qui m’arrivèrent au sortir du collège, et desquelles je ne vous ai pas parlé, parce que je n’ai pas cru que, n’ayant aucun rapporta rien par elles-mêmes, elles méritassent seulement votre réflexion : je suis obligé de les y exposer en ce lieu, parce que je trouve que la fortune leur a donné plus de suite, sans comparaison, qu’elles n’en devoient avoir naturellement. Je vous dois dire de plus, pour la vérité, que je ne m’en suis pas souvenu dans le commencement de ce discours, et qu’il n’y a que leur suite qui les ait remises dans ma mémoire.

Un peu après que je fus sorti du collège, le valet de chambre de mon gouverneur, qui étoit mon tercero[1], trouva, chez une misérable épinglière, une nièce de quatorze ans qui étoit d’une beauté surprenante. Il l’acheta pour moi cent cinquante pistoles, après me l’avoir fait voir : il lui loua une petite maison à Issy ; il mit sa sœur auprès d’elle, et j’y allai le lendemain qu’elle y fut logée. Je la trouvai dans un abattement extrême, et je n’en fus pas surpris, parce que je l’attribuai à sa pudeur. J’y trouvai quelque chose de plus le lendemain, qui fut une raison encore plus surprenante et plus extraordinaire que sa beauté : et c’étoit beaucoup dire. Elle me parla sagement, saintement, et toutefois sans emportement. Elle ne pleura qu’autant qu’elle ne put s’en empêcher. Elle craignoit sa tante à un point qui me fit pitié. J’admirai son esprit, et après son mérite et sa vertu. Je la pressai autant qu’il le fallut pour l’éprouver. J’eus honte pour moi-même. J’attendis la nuit pour la mettre dans mon

  1. Tercero : Mot espagnol qui signifie le vil complaisant d’un grand seigneur.