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DU CARDINAL DE RETZ.

qui avoit une petite épée à son côté, l’avoit aussi tirée ; et après avoir regardé un peu, comme je vous ai déjà dit, il se tourna vers moi d’un air dont il eût demandé son dîner, et de l’air dont il eût donné une bataille ; et me dit ces paroles : « Allons voir ces gens-là. — Quelles gens ? lui repartis-je. » Et dans la vérité je croyois que tout le monde avoit perdu le sens. Il me répondit : « Effectivement je crois que ce pourroient bien être des diables. » Comme nous avions déjà fait cinq ou six pas du côté de la Savonnerie, et que nous étions par conséquent plus proches du spectacle, je commençai à entrevoir quelque chose ; et ce qui m’en parut fut une longue procession de fantômes noirs, qui me donna d’abord plus d’émotion qu’elle n’en avoit donné à M. de Turenne, mais qui, par la réflexion que je fis que j’avois long-temps cherché des esprits, et qu’apparemment j’en trouvois en ce lieu, me fit faire un mouvement plus vif que ses manières ne lui permettoient de faire. Je fis deux ou trois sauts vers la procession. Les gens du carrosse, qui croyoient que nous étions aux mains avec tous les diables, firent un grand cri ; et ce ne furent pourtant pas eux qui eurent le plus de peur. Les pauvres augustins réformés et déchaussés que l’on appelle capucins noirs, qui étoient nos diables d’imagination, voyant venir à eux deux hommes qui avoient l’épée à la main, l’eurent très-grande ; et l’un d’eux, se détachant de la troupe, nous cria : « Messieurs, nous sommes de pauvres religieux qui ne faisons point de mal à personne, et qui venons nous rafraîchir un peu dans la rivière pour notre santé. »

Nous retournâmes au carrosse, M. de Turenne et moi, avec des