Page:Petitot - Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, 2e série, tome 39.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avoit crue nécessaire, mais qu’elle ne la trouvoit nullement délectable : et qu’elle se seroit estimée heureuse si M. le prince eût bien voulu ne l’y pas obliger. Cette réponse me parut procéder d’une ame vraiment royale : l’équité m’obligea d’en avoir de la joie. Je m’approchai de cette princesse ; et après l’avoir louée tout bas de cette humanité, je pris la liberté de lui baiser la main, comme pour l’en remercier. En mon particulier, je n’avois nul attachement à cet illustre prisonnier. J’avoue néanmoins que la destinée d’un si grand homme me fit pitié, et j’eus dépit de voir ses ennemis triompher de son malheur. À l’égard de la Reine, ils étoient mille fois plus coupables que lui, et n’avoient eu de leur côté que du bonheur et de favorables conjectures qui les avoient sauvés. Enfin cette journée finit par un entretien d’une heure que Laigues[1] eut avec la Reine. Elle étoit dans son lit quand il lui parla, et ce fut lui qui, à minuit, lui ferma son rideau. Ce grand amateur de choses nouvelles étoit hardi à les proposer, ferme à les soutenir, et fort habile à les persuader ; mais tout ce que la Reine fut obligée de faire en faveur de ces nouveaux et mauvais serviteurs ne l’empêcha pas de parler de M. le prince avec l’estime qu’elle lui devoit ; et sa sagesse fut cause que cette cabale fut obligée de mettre les premiers jours des bornes à leur joie. Leur modération ne dura guère. Quelque temps après, sans que la Reine y contribuât en son particulier, la prison des princes devint le sujet de la joie et de la gaieté des courtisans ; et chacun, croyant se rendre

  1. Laigues : Geoffroy, marquis de Laigues, d’une ancienne famille du Dauphiné. Il avoit été capitaine des gardes de Gaston.