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les particularités de cette grande défaite. Comme elle le vit, elle alla au devant de lui d’un visage riant et satisfait. Il la reçut en lui disant d’un ton grave : « Madame, tant de gens sont morts, qu’il ne faut quasi pas que Votre Majesté se réjouisse de cette victoire. » Il parla de cette sorte exprès peut-être pour gagner les bonnes grâces des assistans, et pour acquérir la réputation d’être tendre à ses amis ; mais soit que ce sentiment lui fût naturel, ou qu’il eût pris soin par politique de l’affecter, il en méritoit des louanges. Un homme qui exerce la vertu, soit que ce soit par sa volonté plutôt que par son inclination, ne laisse pas d’en être estimable ; puisque les motifs en sont impénétrables, et qu’il appartient seulement à celui qui a formé le cœur humain de le connoître et de le juger. Le cardinal commença par le maréchal de Gramont[1], qui étoit prisonnier, dont il témoigna un sensible déplaisir, et puis lut à la Reine la liste de tous les morts ; et dans cette narration je trouvai que j’avois perdu mes parens et quelques-uns de mes amis que je regrettai beaucoup.

Pendant que les princes du sang emportaient des victoires quasi continuelles sur les ennemis [septembre 1645], et que la France par son bonheur se faisoit révérer de toute l’Europe, la Reine méditoit de trouver de l’argent, afin de pouvoir continuer la guerre avec la même gloire qu’elle avoit fait. Elle se résolut d’aller au parlement pour y faire passer quelques édits, comme le plus prompt remède que

  1. Le maréchal de Gramont : Antoine de Gramont, duc et pair, Maréchal de France. Ses Mémoires font parue de cette série.