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quand elle se verroit toute seule sans femme au pouvoir d’un homme qu’elle n’avoit jamais osé regarder sans sa permission ; et dit à la Reine qu’après avoir été élevée dans cette retenue, c’étoit une chose bien horrible de se voir enlever avec force par un homme qu’elle ne pourroit jamais considérer que comme son tyran. Elle jetoit tant de larmes et poussoit tant de sanglots de son cœur qu’elle eût presque donné de la pitié aux témoins de sa douleur, s’il eût été facile de croire que deux personnes de pareille condition, tous deux jeunes, qui se voyoient souvent, et depuis longtemps, pussent n’être pas d’accord. La Reine, devinant à peu près la vérité, crut facilement que la mère faisoit semblant d’être affligée, ou qu’elle étoit prise pour dupe par sa propre fille. Elle lui répondit le plus doucement qu’il lui fut possible, afin de donner aux grandes apparences de sa douleur quelque sorte de compassion. Ayant ensuite quitté sa toilette, elle se tourna du côté de madame la princesse, et lui dit tout bas : « Ma cousine, je pense que je ne dois pas me mettre en peine de punir le coupable : il y a lieu de croire que mademoiselle de Boutteville seroit fâchée qu’on troublât sa joie, et que sa mère, tout éplorée qu’elle est, ne voudroit pas qu’on lui ramenât M. de Châtillon sans être son gendre. » Madame la princesse, qui depuis quelques momens savoit la vérité de l’histoire, quittant alors un peu son sérieux, et se tournant du côté de la muraille, se mit à rire, et dit à la Reine : « Au nom de Dieu, madame, ne me faites pas ici faire un personnage ridicule : ne me dites rien, j’ai assez de peine à me retenir, et à bien jouer mon jeu. Mon méchant fils a fait cette