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ANCIENS MÉMOIRES

plus de soin de leurs personnes que de la sienne propre, aimant mieux demeurer engagé tout seul que de voir les autres dans la misere et la captivité. Il continua toûjours son chemin pour aller à Bordeaux ; mais comme il y arriva les mains vuides, il surprit fort le prince de Galles, quand il luy dit qu’il ne luy restoit pas un denier de tout l’argent qu’il avoit apporté de Bretagne, et qu’il croyoit l’avoir fort utilement employé pour procurer la delivrance de tant de braves gens qu’il avoit veu dans les prisons de la Rochelle. Le prince luy témoigna que c’étoit pecher contre le bon sens et le jugement que d’en user de la sorte, puis qu’un prisonnier doit commencer par rompre ses chaînes avant que de songer à briser celles des autres. Bertrand l’assûra que ses amis ne luy manqueroient pas au besoin, qu’il attendoit dans peu des nouvelles, et esperoit que Dieu beniroit la charité qu’il avoit faite à ceux qu’il avoit tiré de la servitude et de la disgrace dans laquelle il les avoit trouvez.

Son attente ne fut pas vaine là dessus, car peu de temps après il arriva des gens à Bordeaux qui comptèrent toutte la somme dont on étoit convenu pour la rançon de Guesciin. Le Prince demanda, par curiosité, d’où l’on avoit tiré sitôt tant d’argent. Le trésorier répondit que la liberté de Bertrand étoit si précieuse et si nécessaire, que s’il s’agissoit de dix millions pour le racheter, toutte la France se seroit volontiers épuisée pour sa delivrance. Enfin Bertrand sortit de Bordeaux sans y laisser la moindre debte, et remportarit avec soy le regret et l’estime de toutte la cour et de toute la ville ; il se rendit à Brest, où il