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SUR DU GUESCLIN.

sanguinaire, abandonné du ciel et de la terre pour avoir fait mourir sa propre femme, la meilleure princesse du monde. Après qu’il se fut longtemps déchaîné contre Pierre en injures, il en vint des paroles aux effets, commandant à ses gens de le saisir au corps, et de le jetter vif dans la mer, disant qu’après avoir perdu son royaume, il avoit encore merité de perdre la vie. Quatre valets se mirent aussitôt en devoir d’exécuter cet ordre sévère ; deux le prirent par les bras, et les deux autres par les jambes, et le tenoient déjà suspendu en l’air pour le plonger dans l’eau quand ce malheureux cria qu’il donneroit tant d’or et tant d’argent à tous ceux qui s’étoient embarquez dans cette fregate, qu’il les feroit riches pendant toutte leur vie, s’ils luy vouloient sauver la sienne. Le juif ouvrit l’oreille à ses plaintes, et, se promettant de s’enrichir s’il avoit ce prince en son pouvoir, il declara qu’il le vouloit acheter comme son esclave, et qu’il payeroit le prix de sa personne argent comptant ; ce qui fut exécuté sur l’heure[1] ; si bien que, par un juste châtiment de la Providence divine, ce malheureux Roy tomba tout d’un coup dans la servitude, et se vit sous l’obéïssance d’un homme qui devint maître de sa vie

  1. Adonc l’alerent saisir quatre varlez par bras, et par jambes. Mais Pietre se mist à deux, genoulx, et commença à plourer en la presence des mariniers, ausquelz il pria et requist, qu’ils voulzissent aviser par quelle rençon il leur eschapperoit ; et que tant feroit delivrer à eulx or et argent, que eulx et leurs parens en seroient tous riches. Adonc ledit juif dist, qu’il le achepteroit, et donroil l’argent comptant. Ainsi fu Pietre rendu, ne oncques mais ne fu roy ainsi demené. Et à ce doivent tous prendre exemple. Car si tost comme fortune vrult retourner sa roë, celui qui est monte au plus hault elle fait descendre au plus bas. (Ménard, p. 338.)