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SUR DU GUESCLIN.

regarder un tel damoisel, qui est un laid chevalier et mau taillie ? La mauvaise opinion qu’ils avoient de luy leur fit croire qu’il pilleroit tout le plat païs pour trouver de quoy payer sa rançon sans tirer un sol de sa bourse ; mais il y en avoit aussi qui le defendoient, sçachans la réputation qu’il avoit acquise dans le monde, non seulement par sa valeur, mais aussi par ses généreuses honnêtetez. Ils assûroient qu’il ny avoit point de si forte citadelle dont il ne vint à bout, et qu’il étoit si estimé dans toute la France, qu’il n’y avoit personne qui ne s’y cotisât volontiers pour le tirer d’affaire. Ce n’est pas sans raison que Quint Curce a dit que la réputation fait tout dans la guerre : Famâ bella stant.

En effet Bertrand devint si fameux que la princesse de Galles[1], en ayant entendu parler, vint tout exprès d’Angoulême à Bordeaux pour le voir et pour le régaler, et, ne se contentant pas de le faire asseoir

  1. La princesse de Galles, après l’avoir fait dîner avec elle à Angoulesme voulut contribuer de trente mille florins pour sa rançon. Du Guesclin se jetta à ses genoux en lui disant : « J’avois cru jusqu’ici être le plus laid chevalier de France, mais je commence à avoir meilleure opinion de moi, puisque les dames me font de tels présents. » En acceptant la somme, il n’en réserva rien pour sa rançon. Il l’emploia à payer celle de plusieurs Bretons qui avoient été pris avec lui. Son épouse étoit digne de lui. À cette époque, Du Guesclin étant venu la trouver en Bretagne, et fondant le prix de sa rançon sur des sommes qui étoient en dépôt, elle lui déclara franchement qu’elle avoir tout consommé pour délivrer les pauvres soldats qui l’avoient suivi, et pour leur aider à remonter leurs équipages. Du Guesclin, enchanté de sa conduite, la remercia, en lui disant que l’acquisition d’un vaillant homme valoit mieux que des seigneuries, et qu’il préféroit la conservation d’un bon soldat à tous les trésors du monde. Aussi accouroit-on de toutes parts pour combattre sous sa banniere (Hist. de Du Guesclin, par Du Chastelet.)