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ANCIENS MÉMOIRES

Jean de Chandos, qui connoissoit sa bravoure et sa valeur, pour l’avoir souvent éprouvée, luy voulut donner des marques de son estime et de son amitié, s’offrant de luy prêter dix mille livres. Guesclin luy scut bon gré de son honnêteté, le priant pourtant de trouver bon qu’il allât auparavant faire auprés de ses amis toutes les diligences nécessaires pour recueillir cette somme entière. La fierté que Bertrand fit paroître en se taxant à soixante mille livres fut bientôt sçuë de toute la ville. Chacun courut en foule au palais pour regarder en face un homme si extraordinaire, et quand les gens du prince virent tant de peuple assemblé tout au tour, ils conjurerent Bertrand de contenter la curiosité des bourgeois de Bordeaux, et de se rendre aux fenêtres pour se montrer et se faire voir. Il voulut bien avoir cette complaisance, et vint avec eux sur un balcon faisant semblant de s’entretenir avec quelques officiers du prince. Il ne pouvoit se tenir de rire de voir l’avidité de ses gens à le regarder et à l’étudier avec tant d’empressement. Ils se disoient les uns aux autres que le prince de Galles, leur seigneur, ne luy devoit pas donner la liberté[1], car un tel ennemy luy feroit un jour de la peine. D’autres s’ennuyans de perdre leur temps à le voir, prirent le party de se retirer en disant, dans le langage du quatorzième siècle, pourquoy avons nous icy musé et nôtre métier delaissié à faire, pour

  1. « On croit, Monseigneur, dit un jour le sire d’Albret au prince de Galles, que si vous ne mettés pas Du Guesclin à rançon, c’est parce qu’il vous donne de la jalousie, et que vous le craignés. Pour montrer, répliqua le prince anqlois, que je ne crains point Du Guesglin, tout brave qu’il est, il va être libre à l’instant. » (Du Chastelet.)