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SUR DU GUESCLIN.

Charles, et de la perte qu’il fit de la Bretagne et de la vie dans une même bataille. Ce fut dans cet esprit qu’elle luy fit représenter qu’il étoit indigne d’un prince comme luy, dont les droits étoient incontestables, de rien relâcher là dessus ; que toute l’Europe imputeroit à bassesse de cœur, et même à lâcheté, s’il écoutoit aucune proposition d’accommodement ; que ce seroit degenerer de la bravoure de ses ancêtres, s’il témoignoit d’apprehender d’en venir aux mains et de risquer sa vie pour la conservation d’une belle province qui valoit un royaume entier ; que s’il avoit envie d’en user autrement, toute la France, qui s’étoit déclarée pour luy, jusqu’à se commettre avec la couronne d’Angleterre, luy reprocheroit son inconstance et sa foiblesse. Enfin ce pauvre prince se voyant accablé par tant de spécieuses raisons, fut obligé de leur déclarer le motif de sa crainte, en leur revelant un secret qu’il avoit tenu caché jusqu’alors.

Il leur fit part d’un songe qu’il avoit eu durant la nuit, dont il n’attendoit rien que de fatal et de funeste, leur disant qu’il luy sembloit d’avoir vu, durant son sommeil, un faucon étranger qui venoit d’outremer et qui, prenant l’essor avec beaucoup d’épreviers dont il étoit accompagné, s’élançoit jusques au haut des nuës contre un aigle qui n’avoit pas une moindre troupe d’oyseaux auprès de luy, mais qui, rendant peu de combat, se laissa tomber jusqu’à terre et vaincre par le faucon, qui, fondant sur luy, le déchira de ses ongles et le perça de son bec avec tant d’acharnement et de force, qu’il luy tira toute la cervelle de la tête et le fit ainsi mourir. On ne manqua pas, pour le guérir de sa crainte, d’interpreter ce songe à son avantage et