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SUR DU GUESCLIN.

Ce grand homme, qui devoit être dans le quatorzième siècle la terreur des Anglois et des Espagnols, et le conservateur de la couronne de France, reçut le jour au château de la Mothe, à six lieües de Rennes en Bretagne. Son père avoit plus de noblesse que de biens ; et quoy que personne ne luy pût disputer la qualité de gentilhomme, la fortune ne luy avoit pas donné suffisamment de quoy la soûtenir. La mère de Bertrand étoit parfaitement belle ; et comme elle avoit le cœur grand et des sentimens proportionnez à sa haute naissance, elle ne se sçavoit pas bon gré d’avoir mis au monde un enfant si difforme et si laid que l’étoit Guesclin, pour lequel elle n’avoit que du mépris et de l’aversion, luy voyant des airs si grossiers et si mal agreables. En effet, il n’avoit rien de revenant : toutes les actions de cet enfant avoient quelque chose de farouche et de brutal ; son humeur taciturne et revêche ne promettoit à ses parens que des suites indignes du nom qu’il portoit ; et plus ils étudioient ses inclinations, et moins ils avoient d’espérance de s’en rien promettre d’avantageux à leur famille. Un extérieur si ingrat leur donnoit contre luy des mouvemens de colère ; car toutes les fois qu’il paroissoit en leur présence, ils ne le voyïoient qu’avec peine, comme s’ils avoient un mutuel chagrin d’avoir donné la naissance à un monstre, dont ils ne devoient attendre que des actions qui leur attireroient des reproches et de la honte dans leur maison.

Ce peu de prédilection qu’ils avoient pour luy, faisoit qu’ils le postposoient à ses frères, quoy qu’il en fût l’aîné, le méprisant et le rebutant, jusques-là qu’ils ne luy permettoient pas de manger à table avec eux,