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histoire

ne lui laissois dire aux Sarrazins que j’estois cousin du Roy, qu’ilz nous tueroient tous. Et je lui respondy qu’il dist ce qu’il vouldroit. Et adonc veez-cy arriver à nous la première des quatre gallées, qui venoit de travers, et gectèrent leur ancre prés de nostre vessel. Lors m’envoia Dieu, et ainsi le croy, ung Sarrazin qui estoit de la terre de l’Empereur, qui seullement avoit unes braies[1] vestues d’une toille escrue ; et vint noant[2] parmy l’eauë droit à mon vessel, et m’embrassa par les flans, et me dist : « Sire, si vous ne me croiez, vous êtes perdu. Car il vous convient pour sauveté vous mettre hors de vostre vessel, et vous gecter en l’eauë : et ilz ne vous verront mye, par ce qu’ilz s’attendront au gaing de vostre vessel. » Et il me fist gecter une corde de leur gallée sur l’escot de mon vessel. Et adonc je sailli en l’eauë, et le Sarrazin aprés moy : dont besoing me fut, pour me soustenir et conduire en la gallée. Car j’estois si feble de maladie que j’alloie tout chancellant, et fusse cheu au fons du fleuve.

Je fuz tiré jusques dedans la gallée, en laquelle avoit bien encore quatre-vingtz hommes ; oultre ceulx, qui estoient entrez en mon vessel, et ce povre Sarrazin me tenoit embrassé. Et tantoust fu porté à terre, et me coururent sus pour me vouloir couper la gorge, et bien m’y attendoys : et celui qui m’eust tué cuidoit bien estre à honneur. Et celui Sarrazin, qui m’avoit tiré hors de mon vessel, ne me vouloit lascher, et leur crioit : « Le cousin du Roy, le cousin

  1. Braies : haut de chausses.
  2. Noant : Nageant.