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gardans, et endurans l'infection et pueur de ces corps, qu’il en retournast ung. Et saichez que toute celle caresme nous ne mangeons nulz poissons, fors que de burbotes, qui est ung poisson glout[1], et se rendent tousjours aux corps morts, et les mengeoient. Et de ce, et aussi que ou païs de là ne pluvoit nulle foiz une goute d’eau, nous vint une grant persecution et maladie en l’ost, qui estoit telle que la chair des jambes nous dessecheoit jusques à l’os, et le cuir nous devenoit tanné de noir et de terre, à ressemblance d’une vieille houze[2] qui a esté long-temps mucée[3] derriere les coffres. Et oultre, à nous autres qui avions celle maladie, nous venoit une autre persecution de maladie en la bouche de ce que avions mengié de ces poissons, et nous pourrissoit la chair d’entre les gencives, dont chacun estoit orriblement puant de la bouche. Et en la fin gueres n’en eschappoient de celle maladie, que tous ne mourussent. Et le signe de mort que on y congnoissoit continuellement estoit quant on se prenoit à seigner du neys : et tantoust on estoit bien asseuré d’estre mort de brief. Et pour mieulx nous guerir, à bien quinze jours de là les Turcs, qui bien savoient noustre maladie, nous affamerent en la faczon que vous diray. Car ceulx qui partoient de nostre ost pour aller contremont le fleuve à Damiete, qui estoit à l’environ d’une grosse lieuë, pour avoir des vivres, ces paillars et infames Turcs les prenoient, et n’en retournoit pas ung à nous : dont moult de gens s’esbahirent. Et n’en ouzoit venir ung de Damiete à nous apporter aucuns vivres ; et autant qu’il y en alloit, autant en demouroit. Et jamés n’en peusmes

  1. Glout : glouton.
  2. Houze : botte.
  3. Mucée : cachée.