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cenay, et messire Jehan de Salenay, que six Turcs vindrent au Roy celuy jour, et le prindrent par le frain de son cheval, et l’emmenoient à force. Mais le vertueux prince s’esvertuë de tout son povoir, et de si grant courage frappoit sur ces six Turcs, que lui seul se delivra. Et ainsi que plusieurs virent qu’il faisoit telz faiz d’armes, et qu’il se deffendoit si vaillamment, prindrent courage en eulx, et habandonnerent le passage qu’ilz gardoient, et allerent secourir le Roy.

Aprés ung peu, d’illecq veez-cy droit à nous, qui gardions le poncel ad ce que les Turcs ne passassent, le conte Pierre de Bretaigne qui venoit de devers la Massourre, là où il y avoit eu une autre terrible escarmouche ; et estoit tout blecié ou visage, tellement que le sang lui sortoit de la bouche à planté, comme s’il eust voulu vomir de l'eauë qu’il eust en la bouche. Et estoit ledit conte de Bretaigne sur ung gros courtault bas, et assez bien fourny, et estoient toutes ses regnes[1] brisées et rompues à l’arçon de la selle : et tenoit son cheval à deux mains par le coul, de paeurs que les Turcs, qui estoient derrière lui, et qui le suyvoient de prés, ne le feissent cheoir de dessus son cheval, nonobstant qu’il sembloit qu’il ne les doubtast pas gramment[2]. Car souvent il se tournoit vers eulx, et leur disoit parolles en signe de moquerie. Et en la fin de celle bataille vindrent vers nous le conte Jehan de Soissons, et messire Pierre de Nouille que on appelloit Cayer, qui assez avoient souffert de coups celle journée, qui estoient encores demourez

  1. Regnes : rênes, bride.
  2. Doubtast pas gramment : craignît pas beaucoup. Doubter : craindre.