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HISTOIRE


Le saint Roy fut ung jour de Pentecouste à Corbeil, accompaigné de bien trois cens chevaliers, où nous estions maistre Robert de Sorbon et moy. Et le Roy aprés disner se descendit au prael[1]dessus la chapelle, et ala parler au conte de Bretaigne pere du duc qui à présent est, de qui Dieu ait l’ame. Et devant tous les autres me print ledit maistre Robert à mon mantel, et me demanda, en la presence du Roy et de toute la noble compaignie : « Savoir mon[2] si le Roy se seoit en ce prael, et vous allissiez seoir en son banc plus hault de lui, si vous en seriez point à blasmer ? Auquel je respondy que ouy vraiement. Or donques, fist-il, faites vous bien à blasmer, quant vous estes plus richement vestu que le Roy. » Et je lui dis : « Maistre Robert, je ne fois mie[3] à blasmer, sauf l’onneur du Roy, et de vous ; car l’abit que je porte, tel que le voiez, m’ont laissé mes pere et mere, et ne l’ay point fait faire de mon auctorité. Mais au contraire est de vous, dont vous estes bien fort à blasmer et reprandre ; car vous qui estes filz de villain et de villaine, avez laissé l’abit de voz pere et mere, et vous estes vestu de plus fin camelin[4] que le Roy n’est. » Et lors je prins le pan de son surcot[5] et de celuy du Roy, que je jongny l’un préz de l’autre, et lui dis : « Or regardez si j’ay dit voir[6]. » Et adonc le Roy entreprint à défendre maistre Robert de parolle, et lui couvrir son

  1. Prael : prairie, gazon.
  2. Savoir mon : je voudrois savoir.
  3. Mie : rien.
  4. Camelin : camelot.
  5. Surcot : habit ou robe, commun aux hommes et aux femmes ; il se mettoit par dessus les habits ordinaires. On l’appelle aujourd’hui surtout.
  6. Voir : vrai, sûr, certain.