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NOTICE

celés sans cesse par les Comains, ils ne pouvoient ni avancer ni reculer. Tant de revers auroient dû modérer l’ardeur de Baudouin, et le rendre plus accessible aux conseils de la prudence : mais le malheur l’avoit aigri ; la vie lui étoit à charge depuis qu’il se sentoit humilié ; et rien n’étoit capable de contenir son impétueuse valeur.

Il résolut de donner bataille le lundi de Pâques 1205. Après avoir chargé Ville-Hardouin de garder le camp avec une partie de l’armée, il marcha contre l’ennemi. Le comte Louis de Blois commandoit son avant-garde. Au premier choc, les Bulgares et les Comains parurent se disperser et prendre la fuite : animés par cette apparence de succès, les deux princes oublièrent qu’ils avoient promis de ne pas s’éloigner du camp. Ils se livrent sans précaution à la poursuite des fuyards ; aucune résistance ne leur est opposée, ils se croient vainqueurs ; mais soudain les Barbares se retournent et les enveloppent de toutes parts : ils font des prodiges de valeur, se défendent long-temps ; le comte de Blois reçoit un coup mortel : l’Empereur, après avoir refusé opiniâtrement de fuir, et avoir vu périr ses plus braves généraux, tombe au pouvoir de ses ennemis et devient leur prisonnier.

À la nouvelle de cette double perte le désordre fut à son comble ; les soldats jetèrent leurs armes, et s’enfuirent vers le camp. Ville-Hardouin, le désespoir dans l’ame, montra la plus courageuse sérénité ; toutes ses grandes qualités se déployèrent dans ce moment terrible ; chargé de sauver une armée qui venoit de perdre un chef qu’elle chérissoit, et qui ne pensoit qu’à fuir, sa prudence, son sang-froid,