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NOTICE


La magnifique église de Sainte-Sophie fut pillée et profanée : une courtisane osa monter dans la chaire du patriarche, et y entonner une chanson lascive ; on dansa dans ce lieu sacré, et les soldats s’y livrèrent à toutes sortes d’excès. Dans les divers quartiers de la ville, les femmes eurent peine à se dérober aux outrages d’une soldatesque effrénée : leurs pères, leurs époux trouvoient souvent la mort en les défendant. La fureur des Croisés contre les Grecs étoit surtout excitée par les marchands vénitiens et français qui avoient été obligés peu de temps auparavant de quitter la ville : c’étoient eux qui désignoient aux Croisés les victimes qu’ils devoient frapper. Quelques-uns de ces hommes montrèrent cependant la plus noble générosité : l’historien Nicétas, qui, comme je l’ai dit, étoit un des personnages les plus marquans de Constantinople, dut son salut et celui de toute sa famille à un marchand vénitien qui se dévoua pour lui.

Dans ce désordre, et dans cette fuite précipitée, le sort des seigneurs grecs et des riches habitans de la capitale fut vraiment digne de pitié. Les plus nobles familles erroient dans les environs de Constantinople. Dépouillés de tout, à la fin d’un hiver rigoureux, plusieurs ne savoient où trouver un asile. Ces infortunés alloient par troupes, et pour dérober les femmes et les jeunes filles aux insultes des soldats, ils les mettoient au milieu d’eux. Elles s’efforçoient de se cacher, soit en défigurant leur visage avec la boue des chemins, soit en s’enveloppant dans de longs voiles ; et ces précautions ne suffisoient pas toujours pour les préserver du sort qu’elles redoutoient. Le peuple et les paysans, auxquels les soldats vendoient les dépouilles à vil prix,