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[1204] de la conqueste

147. « Sire, dit-il, j’ai eu nouvelles de Thessalonique, et ceux du pays me mandent qu’ils me recevront volontiers, et me recognoistront pour seigneur : je tiens cette terre de vous, et en suis vostre homme lige ; souffrez que je m’y achemine, et lors que j’auray pris possession, tant de la ville que du royaume, je retourneray vers vous, prest de faire vos commandemens, et vous ameneray des vivres et provisions. Cependant ne ruinez pas ainsi mes terres avec vostre armée ; mais plûtost allons, si vous l’avez agreable, contre Jean, roi de Valachie et de Bulgarie, qui usurpe injustement une grande partie de vostre Empire. » Je ne sçay ce qui porta l’Empereur, nonobstant cette remontrance, de vouloir à toute force prendre le chemin de Thessalonique, remettant à une autre fois le reste de ses affaires, et à conquerir le surplus de ses terres. Ce qui obligea le marquis à lui représenter derechef, et luy dire : « Sire, puisque je puis sans vous venir à bout des terres qui m’ont esté laissées, faites moy la grâce de n’y vouloir entrer : que si au prejudice de cette priere vous y entrez, j’auray sujet de croire que vous n’y venez pas pour mon bien. C’est pourquoy tenez pour constant que je ne vous y accompagneray pas, et que je vous abandonneray. » L’Empereur repondit qu’il ne laisseroit pas d’y aller. Hà ! bon Dieu, que l’un et l’autre deferérent à de mauvais conseils, et que ceux qui furent cause de cette querelle se rendirent coupables d’un grand crime ! cette division estant de telle consequence, que si Dieu n’eût eu pitié et compassion d’eux, ils estoient en peril de reperdre tout ce qu’ils avoient conquis jusques alors, et tous les chrestiens de par delà en danger