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[1203] de la conqueste

66. Puis ils partirent tous de conserve du port d’Abyde, en sorte que vous eussiez veu le canal comme tapissé et parsemé de galéres et de palandries, qui rendoit de loin un merveilleux éclat à l’œil : et à force d’avirons et de voiles surmontans le courant du bras arrivérent à Saint Estienne, qui est une abbaye à trois lieuës de Constantinople ; d’où ils commencérent à découvrir et voir à plein cette ville. Et ceux des vaisseaux et galéres qui vinrent à prendre port ayant jetté l’ancre, ceux qui ne l’avoient encor veuë se mirent à contempler cette magnifique cité, ne pouvans se persuader qu’en tout le monde il y en eust une si belle et si riche : particulierement quand ils apperçeurent ses hautes murailles et ses belles tours, dont elle estoit revestuë et fermée tout à l’entour, et ses riches et superbes palais, et ses magnifiques églises, qui estoient en si grand nombre qu’à peine on se le pourroit imaginer si on ne les voyoit de ses yeux, ensemble la belle assiette tant en longueur que largeur de cette capitale de l’Empire. Certes il n’y eut là cœur si asseuré ny si hardy qui ne fremit, et non sans raison, veu que depuis la creation du monde jamais une si haute entreprise ne fut faite par un si petit nombre de gens.

67. Les comtes et barons, comme aussi le duc de Venise, descendirent en terre, et tinrent conseil en l’église de Saint Estienne, où plusieurs choses furent alleguées et debatuës, que je passe sous silence ; aprés quoy le duc de Venise se leva de son siege, et parla en cette maniere : « Seigneurs, je connois un peu mieux que vous l’estat et les façons d’agir de ce pays, y ayant esté autrefois ; vous avez entrepris la plus