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LA RENAISSANCE

fonction dans l’histoire de l’humanité, s’il est démontré qu’il n’a jamais bien compris et pénétré l’Antiquité, ni dans sa vérité historique, ni dans son esprit scientifique et philosophique ; il en résulte assurément que la Renaissance n’est pas un mot vide de sens, une illusion ; elle est bien un retour dans des voies depuis mille ans abandonnées ; elle est bien un réveil d’une partie au moins de l’esprit humain, depuis mille ans engourdi dans certaines de ses facultés.

Mais ce retour ne se fit pas en un jour ; ce réveil ne fut pas brusque et subit. Des essais, des tâtonnements précédèrent, annoncèrent, préparèrent le grand mouvement de la Renaissance.

Si l’on désigne par ce mot l’essor d’un goût plus vif et plus éclairé pour l’Antiquité, les premières lueurs de la Renaissance avaient brillé, en France, durant la seconde moitié du XIVe siècle, sous les règnes de Charles V et de Charles VI. Cette lumière nous vint d’abord d’Italie, où Pétrarque (mort en 1371) avait fondé, par son exemple, par ses œuvres, et par l’autorité de son immense renommée, le culte à la fois tendre et raisonné, érudit et chaleureux, des lettres anciennes. Son influence fut très grande, on France, sur un petit nombre d’esprits, dont l’œuvre de Renaissance, discrète, un peu timide, mais sincère, éclairée, généralement judicieuse, n’a pas été assez reconnue et admirée : Jean de Montreuil, qui sème ses lettres latines de souvenirs antiques, lit et relit Cicéron, Térence, Virgile : Gonthier Col, cmme lui, secrétaire du roi Charles VI ; comme lui, humaniste et admirateur passionné des anciens ; Pierre Bersuivre, qui traduit Tite-Live ; Nicolas Oresme, qui traduit Aristote (sur le latin, car on ignore encore le grec en France)[1]; Nicolas de Clamenges, chanoine de Lille, recteur de l’université en 1393, studieux lecteur de Cicéron et de Quintilien ; il se félicitait, dans ses lettres à Gonthier Col, d’avoir réveillé le goût des lettres anciennes, avec un accent de confiant orgueil qui devance le XVIe siècle. La guerre civile et la guerre étrangère vinrent étouffer cette première Renaissance avant qu’elle eût porté ses

  1. Guillaume Filiastre, du Mans, doyen de Reims, mort cardinal à Rome en 1428, a peut-être su le grec et traduit Platon sur le texte ; mais on n’en est pas sûr.