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LA RENAISSANCE

encore plus de choses directement héritées du Moyen Age, que de choses vraiment antique, même romaines. Dans une tragédie de Racine, faites la part de tout ce qui appartient à ces deux éléments que l’antiquité n’a point connus : le christianisme et la chevalerie.

Cette disproportion nous échappe ; c’est parce que dans notre civilisation, ce qui nous frappe le plus est ce qui est le moins traditionnel. Le reste est dans le sang depuis trente générations. Mais l’illusion qui exagère à nos yeux ce que nous devons aux anciens, semble dater du jour où l’esprit français s’ouvrit largement au commerce de l’Antiquité. Tel fut l’éblouissement qu’il en reçut, que, dès l’aurore du xvie siècle, plusieurs s’imaginèrent que tout recommençait avec eux, et qu’un monde, nouveau tout entier, sortait de l’Antiquité reconquise. Dès lors on déclara nulle et non avenue toute l’œuvre du Moyen Age. Fâcheuse erreur, et bien préjudiciable à une saine conception des lois qui semblent régner sur le développement et l’évolution des choses humaines. Car la Renaissance, en restaurant l’Antiquité, comblait sans doute une lacune immense dans l’histoire de l’esprit humain ; mais, d’autre part, en supprimant le Moyen Age, elle en ouvrait une autre, qui, peut-être, n’eût pas été moins large et moins profonde ; et, des deux parts, après comme avant la Renaissance, la chaîne des idées et des événements, des effets et des causes, restait incomplète et brisée.

Si le Moyen Age s’est prolongé, en partie du moins, dans la Renaissance, croyons d’autre part, qu’on peut trouver, dans le Moyen Age, les germes de la Renaissance. L’histoire humaine, comme l’histoire naturelle, ne connaît pas les brusques évolutions. Tout y existe en germe avant d’exister en fruits. L’antiquité, du moins l’antiquité latine, et même, à travers celle-ci, l’antiquité grecque, n’avait pas été totalement ignorée du Moyen Age. J.-V. Le Clerc a pu écrire, sans paradoxe : « Peu s’en fallait qu’on n’eût déjà la littérature latine, au Moyen Age, telle que nous l’avons aujourd’hui. Ce mot trop légèrement employé de Renaissance des lettres ne saurait s’appliquer aux lettres latines ; elles n’ont point ressuscité, parce qu’elles n’étaient point mortes[1]. »

  1. Histoire littéraire de la France, t. XXIV, p. 320.