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LA RENAISSANCE

Aujourd’hui notre imagination met encore une auréole de joie et de lumière autour de ce nom, la Renaissance, d’ailleurs vague autant que charmant : « l’aimable mot de Renaissance, dit Michelet, ne rappelle aux amis du beau que l’avènement d’un art nouveau, et le libre essor de la fantaisie[1] : pour l’érudit, c’est la rénovation des études de l’antiquité ; pour le légiste, le jour qui commence à luire sur le discordant chaos de nos vieilles coutumes. » On pourrait continuer à l’infini cette énumération.

À la place où nous l’étudions ici, la Renaissance est surtout pour nous l’éveil de l’Europe chrétienne à l’étude intelligente, et à l’imitation passionnée de l’Antiquité. Ce qui renaît au XVIe siècle, c’est l’antiquité ; ce n’est pas l’humanité. On a renoncé à croire que l’humanité avait dormi pendant tout le Moyen Age.

On renoncera de même à penser que le Moyen Age ait fini tout d’un coup à l’époque des guerres d’Italie, et que la « nuit gothique » se soit subitement dissipée dans les rayons du soleil antique. Écartons d’abord cette erreur que le XVIe siècle a fait ou a laissée naître et se propager par son indiscrète adoration des Anciens.

Il y a deux choses que nous ne devons plus croire : la première c’est que rien du Moyen Age ne se soit prolongé dans la Renaissance ; et la seconde, c’est que rien n’ait amené, préparé la Renaissance durant le Moyen Age, longtemps avant le XVIe siècle.

Il est faux que la Renaissance ait brusquement rompu avec le Moyen Age, et que, d’une époque à l’autre, il n’y ait ni traditions persistantes, ni filiation continue d’une foule d’idées et de sentiments. Ces prétendues ruptures dans la chaîne des générations n’existent pas en réalité : ce sont les historiens qui les inventent pour la commodité de leurs études et la netteté de leurs cadres.

S’il était possible de mesurer et de peser tous les éléments dont se compose notre littérature française classique, on trouverait, j’en suis certain, que, tout compte fait, elle renferme

  1. Définition singulière. Il y a plus de fantaisie dans l’art du Moyen Age que dans celui de la Renaissance.