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LES FABLIAUX

Ainsi, en tous ces contes, le ton, le style s’accommodent, s’adaptent exactement au sujet traité. Peu de genres au moyen âge ont eu cette bonne fortune que la mise en œuvre y valût l’inspiration. Nul délayage, mais une juste proportion entre les diverses scènes ; aucune coquetterie de forme, mais les trouvailles que sait faire la gaîté ; nulle recherche des sous-entendus galants, comme chez les poètes érotiques du xviiie siècle, mais la seule bonne humeur, cynique souvent, jamais voluptueuse ; nulle prétention au coloris ni à la finesse psychologique comme chez les conteurs du xvie siècle qui alourdissent ces amusettes en leurs nouvelles trop savantes, mixtures de Boccace et de Rabelais ; mais la simplicité, le naturel. C’est vraiment la Muse pédestre :

Légère et court vêtue, elle allait à grands pas.

La portée satirique des fabliaux. — On le voit à cette analyse : l’esprit qui anime nos conteurs et qui détermine jusqu’à leur style est fait de bon sens frondeur, d’une intelligence réelle de la vie courante, d’un sens très exact du positif, d’un ton ironique de niaiserie maligne. Mais quelle est la portée satirique de cet esprit ?

Elle a été, à notre avis, exagérée. À en croire les critiques — depuis J.-V. Le Clerc jusqu’aux plus récents, — le rire des fabliaux est le plus souvent hostile et cruel ; de plus, il est lâche. Les fabliaux ne sont que des satires et qui les groupe forme une sorte d’encyclopédie satirique, d’Image ou de Miroir du monde, image grotesque, miroir railleur, où toutes les classes sociales sont tour à tour et délibérément bafouées. Toutes ? non pas ; mais, de préférence, les castes les plus faibles. Le jongleur y ménage et respecte les chevaliers, les prélats, les puissants ordres monastiques, car toujours il se range du côté de la force ; mais le vilain, mais le bourgeois, mais l’humble prêtre de village, voilà ses victimes désignées. Les fabliaux seraient donc de lâches poèmes, rimés pour que les chevaliers puissent s’ébaudir aux dépens du bourgeois et du vilain.

De ces deux propositions : l’intention des fabliaux est principalement satirique — cette satire ne s’attaque qu’aux faibles ; — la première nous paraît outrée, l’autre erronée.