Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
LES FABLIAUX

pagne, Orléanais, Île-de-France, Normandie et, de préférence peut-être, sur les pays du nord-est : Picardie, Ponthieu, Artois, Flandre, Hainaut. Ils se répartissent non moins indistinctement sur près de deux siècles, entre 1159 et 1340, date où meurt Jean de Condé, le dernier rimeur connu de fabliaux. « La plupart, dit M. G. Paris, sont de la fin du xiie ou du commencement du xiiie siècle. » Mais les noms de Philippe de Beaumanoir, d’Henri d’Andeli, de Rutebeuf, de Watriquet de Couvin, tous auteurs de fabliaux qui ont vécu dans la seconde moitié du xiiie siècle ou au début du xive, nous attestent que la vogue des fabliaux ne s’est jamais ralentie au cours de cette longue période. Il pourrait donc paraître téméraire de grouper ces cent cinquante poèmes d’origine et de dates si diverses, de rechercher l’esprit commun qui anima ces cinquante poètes. La tâche est possible pourtant, car les œuvres de chaque conteur ne sont point marquées de traits fort individuels. Il n’y a guère de génies parmi les poètes du moyen âge. Nous sommes en une époque semi-primitive, où l’influence du milieu social et du moment est prépondérante.

Que recherchent donc nos conteurs ? L’instruction morale, comme l'Hitopadésa ? la volupté, comme La Fontaine ? la peinture des cas étranges, des espèces rares, comme Bandello ? la satire des mœurs contemporaines, comme Henri Estienne ? Interrogeons les prologues des fabliaux ; ils nous répondent d’une voix : un fabliau n’est qu’une amusette. Ce sont « mots pour la gent faire rire » ; ce « joli clerc » ne s’étudie qu’à « faire chose de quoi l’on rie ». Ce jongleur narre « son fabelet pour déliter », pour « s’eslasser », pour « s’esbatre », « par joie et par envoisëure ». — Mais les trouvères n’ont-ils pas d’autre ambition ? quelque prétention morale ? Assurément. Ils croient à la vertu saine du rire. Il n’est pas de bourde ni de trufe si indifférente qu’on n’en puisse tirer quelque leçon. Ecoutez les fabliaux pour rire d’abord, au besoin pour en profiter :

Vos qui fableaus volés oïr,…
Volentiers les devés aprendre,
Les plusors por essample prendre,
Et les plusors por les risées
Qui de maintes genz sont amées…